Naufragés de la mer de sel / Crédit Photo -- Audrey Sérandour
L'immensité contenue entre le bleu du ciel et le blanc du sel
Depuis l'île d'Inkawasi, j'observe l'immensité qui m'entoure. Une vaste étendue, plate et irrégulière, s'étire sur des milliers de kilomètres carrés. Pourtant, ce n'est pas un océan, mais un désert. Un désert de sel. La surface du sol est sèche et dure, d'un blanc aveuglant. Aussi loin que porte mon regard, le soleil fait scintiller les cristaux de sel qui forment le décor. Je plisse les yeux. Au-dessus de la ligne d'horizon, les monts andins semblent en suspension entre ciel et terre. L'uniformité du paysage fausse les perspectives, et seuls quelques îlots semblables à celui sur lequel je me trouve constituent de rares points de repère. Isolées, ces « îles » vallonnées sont couvertes de cactus candélabres, dont certains sont millénaires. Composé du bleu pur du ciel et du blanc étincelant du sel, le tableau est féerique. Lorsque le soleil se couche, sa lumière rasante met en relief les craquelures des plaques de sel. Lentement, ces grandes formes hexagonales prennent une teinte rosée. Les réverbérations de la lumière et de la chaleur laissent alors place à un vent d'altitude qui rafraîchit l'atmosphère.
Profitant des dernières lueurs de la journée, je contemple le magnifique paysage au cœur duquel nous bivouaquons. Au loin, un véhicule à l'arrêt attire mon attention. Les autochtones traversent régulièrement le salar d'Uyuni, parcourant la centaine de kilomètres de désert salé à bord de leurs pick-up fatigués. Ce soir-là, l'un de ces véhicules s'est échoué au milieu du décor desséché. Rapidement, le capot est ouvert et une demi-douzaine de Boliviens se penchent au-dessus du moteur. Comme la voiture ne semble pas pouvoir redémarrer, nous décidons d'aller leur proposer notre aide. En quelque minutes nous comprenons que leur moteur est en panne, et mon père décide de tracter le véhicule jusqu'à un village au bord du salar, avant la tombée de la nuit. Moitié Quechua, moitié Aymara, les passagers nous remercient en espagnol et nous nous quittons après quelques poignées de mains chaleureuses. Dans cette région, la population vit de l'exploitation du sel, mais également de la culture du quinoa. La « mère des graines », adaptée à l'altitude, est cultivée depuis plus de 5 000 ans sur les hauts plateaux andins. Elle nécessite un faible apport en eau et aime le sel, ce qui explique son importante présence près du salar.
Profitant des dernières lueurs de la journée, je contemple le magnifique paysage au cœur duquel nous bivouaquons. Au loin, un véhicule à l'arrêt attire mon attention. Les autochtones traversent régulièrement le salar d'Uyuni, parcourant la centaine de kilomètres de désert salé à bord de leurs pick-up fatigués. Ce soir-là, l'un de ces véhicules s'est échoué au milieu du décor desséché. Rapidement, le capot est ouvert et une demi-douzaine de Boliviens se penchent au-dessus du moteur. Comme la voiture ne semble pas pouvoir redémarrer, nous décidons d'aller leur proposer notre aide. En quelque minutes nous comprenons que leur moteur est en panne, et mon père décide de tracter le véhicule jusqu'à un village au bord du salar, avant la tombée de la nuit. Moitié Quechua, moitié Aymara, les passagers nous remercient en espagnol et nous nous quittons après quelques poignées de mains chaleureuses. Dans cette région, la population vit de l'exploitation du sel, mais également de la culture du quinoa. La « mère des graines », adaptée à l'altitude, est cultivée depuis plus de 5 000 ans sur les hauts plateaux andins. Elle nécessite un faible apport en eau et aime le sel, ce qui explique son importante présence près du salar.
Lessive sur les hauteurs de l'Altiplano / Crédit Photo -- Audrey Sérandour
Un désert qui renferme des réserves uniques au monde
À plus de 3650 mètres d'altitude, au cœur de la Cordillère des Andes, le salar d'Uyuni est le plus vaste désert de sel du monde. Sa formation est due à l’assèchement d'un gigantesque lac salé, le Lago Minchín, qui occupait la région il y a 40 000 ans. Vestige de l'évaporation de ce lac préhistorique, le salar atteint une superficie de plus de 10 000 kilomètres carrés, ce qui en fait également la plus importante réserve de sel de la planète. Le lendemain, alors que nous longeons les rives du salar, nous découvrons un site d'exploitation. Au milieu de tas coniques et à l'ombre de camions colorés, une poignée d'hommes récolte du sel. À l'aide d'outils rudimentaires, leur pénible travail permet d'extraire chaque année environ 25 000 tonnes de sel des dizaines de milliards de tonnes du gisement. Selon les endroits, l'épaisseur de la croûte de sel varie entre 2 et 10 mètres. Cette couche est formée de strates de sel et de glaise. La couche supérieure, la plus blanche et la plus pure, est grattée et utilisée pour l'alimentation, tandis que des blocs plus importants sont extraits pour la construction ou l'alimentation des animaux.
Sous ce premier gisement se cache la seconde richesse du salar d'Uyuni. Le sous-sol du désert de sel renferme en effet une saumure riche en lithium. L'exploitation de ce métal alcalin constitue un grand espoir pour la Bolivie, d'autant que sa consommation mondiale augmente de 6 % par an depuis 2000. Si la demande s'accentue, c'est notamment dû à l'apparition de véhicules électriques qui utilisent des batteries au lithium. Dans ce contexte, les pays du « triangle andin » (Argentine, Chili et Bolivie) acquièrent une position stratégique, et leurs réserves naturelles sont l'objet de convoitises de la part des investisseurs étrangers. La Bolivie à elle seule détient 35 % du lithium mondial, essentiellement concentré dans le salar d'Uyuni. Les réserves du désert de sel constituent ainsi la « troisième grande opportunité de son histoire » pour la Bolivie, un grand espoir pouvant lui permettre de développer son secteur économique. Le président bolivien, Evo Morales, ne souhaite pas répéter les deux situations d’assujettissement passées, pendant lesquelles la Bolivie fournissait des matières premières à bas prix. Au XVIème siècle, en effet, les conquistadores se sont approprié l'exploitation des mines d'argent et d'étain de Potosí, tandis qu'au XXème siècle ce sont les entreprises transnationales qui ont pris possession de l’exportation du gaz naturel bolivien.
Sous ce premier gisement se cache la seconde richesse du salar d'Uyuni. Le sous-sol du désert de sel renferme en effet une saumure riche en lithium. L'exploitation de ce métal alcalin constitue un grand espoir pour la Bolivie, d'autant que sa consommation mondiale augmente de 6 % par an depuis 2000. Si la demande s'accentue, c'est notamment dû à l'apparition de véhicules électriques qui utilisent des batteries au lithium. Dans ce contexte, les pays du « triangle andin » (Argentine, Chili et Bolivie) acquièrent une position stratégique, et leurs réserves naturelles sont l'objet de convoitises de la part des investisseurs étrangers. La Bolivie à elle seule détient 35 % du lithium mondial, essentiellement concentré dans le salar d'Uyuni. Les réserves du désert de sel constituent ainsi la « troisième grande opportunité de son histoire » pour la Bolivie, un grand espoir pouvant lui permettre de développer son secteur économique. Le président bolivien, Evo Morales, ne souhaite pas répéter les deux situations d’assujettissement passées, pendant lesquelles la Bolivie fournissait des matières premières à bas prix. Au XVIème siècle, en effet, les conquistadores se sont approprié l'exploitation des mines d'argent et d'étain de Potosí, tandis qu'au XXème siècle ce sont les entreprises transnationales qui ont pris possession de l’exportation du gaz naturel bolivien.
Îlot couvert de cactus au cœur du salar / Crédit Photo -- Audrey Sérandour
Aujourd'hui, Evo Morales souhaite conserver une maîtrise nationale de ses ressources naturelles, bien qu'il soit conscient que l'exploitation et l'industrialisation du lithium dépendent des investissements et de la technologie de grandes entreprises étrangères. Cette collaboration entre l’État bolivien et les industriels étrangers est déjà mise en application depuis 2008 au sein de l'usine pilote de Rio Grande, qui teste des techniques d'extraction. Malgré les moyens limités et les conditions difficiles, la Bolivie affiche une volonté d'aller de l'avant. Alors que je marche sur la croûte de sel, je prends conscience du trésor dissimulé sous cette blancheur éblouissante. La Bolivie, pays le plus pauvre de la Cordillère andine, dispose d'un fort potentiel économique. Cependant, cette promesse de richesse contraste fortement avec l'ambiance qui règne dans la petite ville d'Uyuni. Dans ses grandes avenues balayées par un vent poussiéreux, la promesse d'une « future Arabie Saoudite » du lithium paraît encore bien utopique.